• « Il faut qu'j'y aille »

    Un baiser, ce goût indicible. J'ai senti sur mes doigts une petite empreinte fraiche. Larme. Petite tâche humide sur un vernis qui s'écaille. Quelque chose en moi est tombé. Plombé, c'est comme ça qu'on dit, oui, du plomb dans le ventre. Mes mains n'ont pas bougé, il s'est retiré dans un coin de la cuisine. L'angle mort. Je n'ai pas vu mais j'ai entendu. Un bouchon qu'on dévisse, une bouteille qu'on renverse et le tintement liquide de l'alcool qui voyage entre les parois du verre. Je n'ai pas relevé les yeux. Il est revenu vers le canapé, la table, où les mains abandonnées sur mes genoux pliés je regardais toujours la petite tâche salée qui bientôt allait disparaître. Lui les yeux rouges, verts et liquides. Une cigarette sortie d'un carton doré, le crissement d'un briquet. Puis ses pas vers la porte que j'ai suivi, immobile, glacée encore par ce minuscule instant, par cette fraction infime d'eau salée déposée sur ma main. Déjà inexistante, indélébile. Il s'est retourné pour son shit oublié sur le coin de la cheminée. Et la porte s’est refermée, enfin, sur moi seule, sur mes mains qui montent à mon visage pour l’enfouir, pour caresser la crispation de la mâchoire et le plissement douloureux des yeux. J’ai pensé une chose. J’ai pensé « Il va me tuer ».

     

    oOo

     

    La première fois que c’était arrivé, il était 19:25. C’est con, hein. Je sais pas pourquoi, je me souviens que j’avais eu cet espèce de réflexe presque mélodramatique de regarder sur le petit meuble en verre les chiffres rouge du réveil. Pour fixer quelque chose, pour l’imprimer dans mon esprit. Un petit drapeau rouge comme ces chiffres-là. Je m’étais dit, voilà, ça s’est passé. Cet instant existe et s’ajoute à la somme de tous les autres, engloutis par tous les hier qu’il est possible de dénombrer dans ce qui a été jusqu’ici ma vie. Bordel, qu’est-ce que j’avais voulu, immédiatement, qu’il s’annule, qu’il disparaisse. Néant. Tu n’as rien dit. Je n’ai rien répondu. Pourtant cette voix qui sait les choses bien mieux que moi et déroule le fil constant de mes pensées m’avait dit, tout aussi immédiatement, que la consistance et l’existence de cet instant-là était comme une de ces marques que l’on oublie jamais, une de celle qui modifie des trajectoires sans qu’on puisse rien y faire.

    Je crois que j’attendais sur le canapé, faisant distraitement une de ces choses inutiles qui doivent combler l’attente. J’attendais que la porte s’ouvre, j’attendais des yeux verts. Elle s’était ouverte sur cet homme habillé en couleurs de ciel. Il avait posé sa veste sur le dossier du canapé, il avait ouvert la fenêtre sur le dehors de la rue, soleil sur le toit des immeubles. Je ne me souviens plus des mots, seulement du double creux au fond de mon ventre. Joie et crainte. Il est beau. Est-il possible que je lui plaise, que la fille aux cheveux rouges fasse frémir silencieusement ce visage nonchalant. Je l’avais regardé en silence, maladroite sous ce flot d’émotions. Il était venu s’assoir à côté de moi et pour briser ma propre retenue, j’avais posé ma tête une seconde contre son épaule. Puis je l’avais regardé, encore.

    « Le moment venu, est-ce que t’auras la force de m’envoyer me faire expédier ? »

    Il avait dit ça, l’œil sérieux dans le mien, interrogatif.

    -        - C’est difficile à dire…

    -        - Oui. Je sais.

    -        - Je ne supplierai jamais personne d’être avec moi. C’est une décision qu’on prend seul, et d’abord pour soi. Ca je peux te le dire.

    -         - …

    -         - Mais pourquoi cette question ? Si t’as plus envie d’être avec moi un jour, tu penses que t’auras pas la force de me quitter, de le faire toi-même je veux dire ?

    -        - J’ai plus rien à faire ici. Je dois partir. Le moment venu, il faudra me laisser partir… Est-ce que tu pourras ?

     

    Puis un silence. Les yeux verts toujours sur moi. Il avait attendu que les mots trouvent leur chemin sournois jusqu’à l’intérieur, profond, là où on découvre pleinement leur sens, là où cet invisible réseaux trace entre nous et le reste du monde les significations nécessaires. Et cet endroit-là est tout contre le cœur, chevillé à cette force brut, à cette entité primale qui décide des sentiments et des émotions. J’avais senti la peur. Fer rouge. Puis le doute.

    -        - Tu parles en énigmes. Comment est-ce que je suis censée te répondre.

    -        - Si j’en dis plus tu souffriras. Tu as compris.

    J’avais failli répondre, trop tard. Mais ça n’aurait été qu’un cri. A la place, une perte silencieuse, une tombe creusée en une fraction de seconde quelque part à l’intérieur. A la place, la cassure de cette illusion presque universelle qui se charge chaque jour de nous aider à ne pas nous cogner contre l’absurdité des choses avec trop de violence. L’illusion du toujours. Je suis humaine. J’ai vu ma chair se transformer, se déformer, prendre sur elle les marques des jours et celle des gifles. Si je vis, c’est parce que je vais mourir. Les gens s’en vont, qu’ils s’en aillent en marchant ou que leur corps se décompose, je sais, je connais le goût de leur absence. Et pourtant je n’échappe pas à ce désir éperdu d’une promesse d’éternité. Je connais le mensonge et pourtant je m’y soumets. C’était à ce moment précis que mes yeux s’étaient fixés sur le petit réveil à affichage digital. Et que le rouge des chiffres s’était inscrit en moi comme on grave des dates sur une pierre tombale. Connaître cet homme puis le goût de ses baisers, celui de son plaisir. Voilà. C’était arrivé. A 19:25, Victor m’avait fait avaler de force la certitude de la fin, quelque part, sans égard pour le temps. Il n’avait pas su dire quand. Il avait juste su me faire entendre qu’un matin il se réveillerait avec ce goût de quelque chose d’achevé au creux de son ventre, comme un parasite, comme une vérité intime qui ne souffrirait qu’on lui désobéisse. Il n’y aurait plus qu’à choisir. Et son seul malheur, il avait dit que ce seraient mes larmes. Et j'avais pensé, pour la première fois, qu'il me tuerai.


    votre commentaire
  • .

    .

    .

    .

    Comment est-ce possible ? Comment peut-t-on suivre aveuglément ce chemin qui nous a vu naître ? Comment peut-on, au détour d'une autre nuit sans sommeil et bercée par des mots jetés par dessus l'Atlantique, se retrouver le visage collé contre cette vérité première de soi-même, telle qu'on l'a construite à tâtons il y a si longtemps, quand on ne savait pas ? Et comprendre, éclat de miroir par éclat de miroir, pourquoi cette vibration que tu produis contre moi recouvre tout. En tellement d'endroits tu vivais déjà dans moi, endormi, en attente. Tout en écarquillant les yeux devant l'improbabilité de ton éxistence, je commence à savoir vraiment pourquoi. Oui. Je sais. Pourquoi dire que l'amour doit être sans raison, comme une sorte communication sortie de nulle part ? Pourquoi dire que l'on doit nécessairement rester aveugles quant aux instances mystérieuses qui l'ont fait naître en nous et l'on cultivé pour qu'il éclate un jour aussi douloureux, vertigineux et extatique ? Moi je sais. Comme je trace jour après jour une carte du pays immense à l'intérieur de moi, je repère au passage tous les endroits où nous nous joignons. Et Amour, Miroir de moi, ils sont légions. Ils sont sans fin. Et quand bien même on en verrait la limite, la rupture, quand bien même on la verrait demain ou dans une minute, ça n'aurait pas d'importance. Rien ne doit avoir de poid comparable à celui de ma certitude ce matin. Je sais. J'aime. C'est toi. Et je suis renversée par ce vertige avec d'autant plus de force qu'à chaque seconde je reçois un écho, fourmillement, légère piqûre, brûlure d'un millième de millimètre qui me dit par où j'aime, je sais avec quel recoin de mon esprit, je sais avec quelle célulle. Comment est-ce possible, Rafael, que même ton nom ait été déjà là ? Et que de la soif je passe à l'immersion dans l'océan ? Et que de la faim je passe à l'attente de la peau, qui se suffit à elle-même et n'admet aucune autre nourriture ?

    .

    .

    .

    .
     


    votre commentaire
  • .

    .

    .

    .

    there is a previously unknown root inside me that had your name on it since forever. I have to be washed over by it, I need to be burried in it. And feel the diziness and the vertigo. It is it's vibration : this paradox of chao and quiet, this exhilerating mix in which everything melts. Forms vanish, limits and ends do the same, an endless echo covers all that can be seen, all that can be felt and experienced.

    Oh, the high.

    .

    .

    .

    .


    votre commentaire
  • .

    .

    .

    .

    Je me suis jetée hors de moi comme d'une maison en flammes et avec avidité j'ai regardé le bois brûler, se noircir et craqueler. J'ai regardé les cendres voler et se dissoudre dans l'air. C'était rendre la vue supportable, le spectacle intéressant. Tiens, c'est drôle, regarde comme je brûle. J'aurais voulu y entrer au fond, dans cet enfer de feux, j'aurais voulu y goûter et depuis je le traque. La sensation de cet incendie est en forme de gouffre immense qu'il me faut peupler d'objets combustibles.

    .

    .

    .

    .


    votre commentaire
  • .

    .

    .

    .

    Trouver le bon mot pour la bonne sensation, c'était paradoxalement éxiger de moi même un examen chirurgical de l'émotion, puis tracer son chemin jusqu'à la pulsion, jusqu'à la racine à vif, l'origine et l'amputer de moi comme on ferait d'un membre. Comme on donnerait à l'observation une créature mystérieuse dont on voudrait délimiter les contours et comprendre la portée.

    .

    .

    .

    .
     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique